Épisode 23
- JF
- 20 juil.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 juil.

J’ai profité pleinement et joyeusement de mes dix premières années d’existence dans cette merveilleuse région d’Auvergne, à l’écart des grands axes et souvent ignorée.
Aussi loin que se projette ma mémoire, je n’ai pas de vilains souvenirs de cette époque bénie durant laquelle, de mes premiers pas à l’aube de mon adolescence, j’ai commencé ma vie de petit garçon, émerveillé par mille choses et curieux de tout.
Tout au plus, reste-t-il une petite tache dans ce joli récit de mes dix premières années.
Papa et maman rêvant de faire de moi un grand musicien avaient pris les dispositions nécessaires afin que j’apprenne le violon.
Equipé de l’indispensable petit accessoire dans sa boite, je me rendais une fois par semaine, le jeudi jour de vacances scolaires à cette époque, chez le professeur qui était censé m’apprendre à maitriser ce que j’ai très rapidement considéré comme un véritable instrument de torture.
Ce professeur était détestable et à grand renfort de rebutantes séances de solfège, plus préoccupé qu’il était de la posture à adopter pour tenir l’archet que des sons que j’essayais laborieusement d’émettre avec ce pauvre petit violon, il m’a appris à le haïr.
En y repensant aujourd’hui, je lui en veux d’autant plus que ses méthodes, aussi peu pédagogiques que possible, auraient pu me dégouter à tout jamais de la musique.
Ce n’est heureusement pas le cas, d’autres que lui ont su effacer cette malheureuse première expérience et si j’excepte cette ombre un peu fâcheuse, dans ce beau pays aux infinies ressources, j’ai grandi, extraordinairement libre, entouré d’amis dont je n’ai plus que la chère image, protégé et fermement guidé par un père et une mère aimante.
Je n’aurai garde d’oublier Anne-Marie, Tata, ma seconde maman, ainsi que son Gégé de mari, Tonton, mon parrain, à qui je dois ma passion et ma connaissance des champignons, mon amour des papillons et de toutes ces beautés de la nature qu’il m’a appris à connaitre, à nommer et apprécier.
Et tante Thérèse et surtout tonton Milien, son époux, qui m’a transmis ce penchant immodéré pour la pêche que je garde encore aujourd’hui mais que je ne pratique à présent, et à mon regret, que de plus en plus rarement.
Que d’heures j’ai passées, sur la rive ou les pieds dans l’eau, fixant obstinément jusqu’à en avoir mal aux yeux ce joli petit bouchon rouge dansant dans le courant.
Presque toujours, il plongeait brusquement, sans prévenir et alors que je perdais patience, accélérant soudain les battements de mon cœur.
Attentif et toujours prêt, en principe, à ferrer habilement d’un léger coup de poignet, comme me l’avait appris tonton Milien, je ramenais sur l’herbe un gardon, une tanche et parfois même une carpe, le plus souvent de taille modeste, qui rejoignaient un panier que je rapportais fièrement à maman.
Je ne suis pas certain que ces cadeaux frétillants aient toujours été du gout de ma très chère mère, mais elle m’a toujours manifesté une satisfaction égale et souriante en recevant le résultat de mes prouesses halieutiques.
Présentée ainsi mon habileté de pêcheur est peut-être un tantinet exagérée.
En effet, combien de touches ratées, combien de lignes emmêlées, d’écheveaux et de « perruques » dont je devais patiemment, et durant d’interminables minutes, chercher et trouver la clef qui me rendrait un outil de pêche opérationnel !
Combien de fils, d’hameçons et de bouchons laissés et perdus dans les branches d’arbres qui bordaient la rive, à l’issue d’un ferrage un peu trop vigoureux !
En ces moments très rares où, trompés par mon immobilité, j’ai eu parfois le privilège de voir passer, nageant tout près, un ragondin, une couleuvre et parfois même l’éclair bleuté d’un martin, pêcheur comme moi.
Je me souviens aussi de ce moment unique où, souffle coupé et cœur battant, j’ai vu passer un renard, à quelques mètres de moi.
Que de précieux souvenirs sur les bords de ce Lot tant aimé.
Pourtant, toutes choses ayant une fin, la nouvelle arriva un jour, au dessert à la fin d’un repas. L’information était déjà connue de nos parents depuis déjà un bon moment et, malgré leurs craintes de nos probables réactions, il fallait bien nous l’annoncer.
Depuis trop longtemps, notre ingénieur de père ayant largement fait preuve de sa compétence, Saint-Gobain ne pouvait laisser végéter un élément aussi prometteur au fin-fond de l’Auvergne.
Un entretien avec le directeur de l’usine, monsieur Bonjour, avait appris à papa qu’il allait rejoindre en tant qu’ingénieur-chef, la fabrique de verre-à-vitre de Chalon-sur Saône, un des sites importants du groupe.
Dire que cette annonce me consterna est certainement inexact.
Dans l’instant, j’y vis surtout l’attrait de l’inconnu, d’un monde de découvertes et de perspectives neuves, qui laissait au second plan une crainte, malgré tout très présente, d’un avenir mystérieux.
Vint ensuite la perception de plus en plus réelle de tout ce que j’allais perdre.
Mes amis, tout d’abord, Michel en tête, dont la peine manifeste me brisa le cœur quand je lui annonçai la nouvelle.
Mon cher Lot, bien sûr, et toutes ces aventures qu’il m’offrait sans limites et depuis toujours.
J’eus beau m’ouvrir de mes regrets à maman, même la perspective de retrouver avec la Saône une rivière, parait-il poissonneuse, aucun argument ne parvint à me convaincre et je restais inconsolable.
Le Lot coulait sous nos fenêtres, pas la Saône qu’il faudrait rejoindre difficilement à condition d’être dotés de bicyclettes, promesse faite par papa, séance tenante.
Et tout le reste, l’école et mes copains, les merveilles de la campagne, ses fruits, ses fleurs, ses papillons, Réjanne, la cité et tous les lieux où j’avais vécu jusqu’à présent.
C’est donc le cœur en berne qu’avec famille armes et bagages, j’ai pris, pour la dernière fois, le train en gare de Capdenac, quittant en larmes, malgré les efforts de maman pour me consoler, ces trésors de mon enfance et ce pays aimé et qu’à mon grand regret, je n’ai depuis jamais revus.


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