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Épisode 25

  • JF
  • 19 août
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 26 août

Amis et ennemis
Amis et ennemis

Les maisons voisines abritaient un grand nombre d’enfants dont la plupart devinrent rapidement des amis.

Je veux parler des garçons, bien sûr, car les filles, du moins dans un premier temps, ne pratiquant pas les mêmes jeux et activités que nous, ne présentaient à nos yeux aucun ou très peu d’intérêt.

 

Côté sud, la maison voisine était occupée par la famille Lonjarret dont les deux fils, Jacques et Michel, approximativement de nos âges, devinrent très vite d’inséparables amis.

 

Ils disposaient d’une impressionnante collection de bandes dessinées qu’ils prêtaient volontiers et c’est ainsi que j’ai découvert, entre autres, les aventures de Tarzan, l’homme sauvage habillé d’un simple pagne, ami des singes et des éléphants et impitoyable adversaire des lions, tigres et autres panthères qu’il affrontait et faisait fuir à l’aide de ses mains nues ou armé d’un simple poignard.

Ces histoires, aussi invraisemblables soient-elles, me passionnaient et il m’est arrivé maintes fois de poursuivre mes lectures tard le soir, après l’extinction des feux prononcée par papa, caché sous les draps et à l’aide d’une lampe de poche dérobée dans le tiroir de la commode de l’entrée, ce qui avait le don d’agacer mon petit frère.

 

En effet, Poupi et moi partagions la même chambre et il n’était pas rare que des discussions animées, voire même les quelques disputes qui en résultaient,  alertent les parents restés au rez de chaussée.

S’ensuivait immanquablement une bruyante cavalcade, dans l’escalier d’accès à l’étage, provoquée par papa qui surgissait dans la pièce, allumait la lumière et de sa grosse voix nous intimait l’ordre de nous taire, alors que réfugiés sous les couvertures, nous faisions semblant de dormir profondément.

 

J’avoue aussi avoir quelquefois « fait le mur » certains soirs d’été, pour me procurer un épisode manquant que j’allais emprunter chez Michel ou Jacques en passant par la fenêtre.

 

Il faut dire que notre chambre, au premier étage de la maison, donnait sur la rue par une porte-fenêtre munie d’un garde-corps qu’il suffisait d’enjamber pour descendre le long de la façade, en prenant appui sur les traverses des volets de la pièce d’en dessous, au rez-de-chaussée.

Le retour s’effectuait par le même chemin et j’ignore encore si mes parents ont soupçonné un jour l’existence de mes escapades nocturnes, au demeurant peu dangereuses, le terrain de réception, trois mètres plus bas, étant meuble et tout à fait apte à amortir une chute éventuelle.

 

J’étais passionné par la lecture et, indépendamment des aventures de Tarzan, je dévorais les uns après les autres tous les exemplaires de « la Bibliothèque verte » qui me tombaient sous la main.

 

Papa et maman m’avaient offert pour mon anniversaire un abonnement au « Journal de Tintin » et j’attendais avidement chaque semaine l’arrivée de mon hebdomadaire, dévorant dès que possible les dernières aventures de Tintin, de Blake et Mortimer, Quick et Flupke et de tous les autres héros qui enflammaient mon imagination.

 

J’ai aussi découvert à peu près à cette même époque l’œuvre impérissable de Selma Lagerlöf, « Le merveilleux voyage de Nils Olgerson ».

C’est l’un de mes plus beaux souvenirs d’enfance.

Parents qui me lisez, offrez à vos enfants ce bijou de littérature, tout à la fois exemple de retour à la sagesse d’un vilain garnement, passionnante leçon de choses sur la nature, ses dangers et la diversité du monde.

Je souhaite à vos enfants d’abandonner pour quelque temps leurs sacro-saintes et bêtifiantes séries télévisées pour rêver, autant que moi à leur âge, de pouvoir voler et découvrir le monde sur le dos d’un oiseau !

 

Une maison plus loin, un autre Jacques, du nom de Deschamps, était venu grossir notre bande, déjà riche d’une demi-douzaine de têtes blondes ou brunes et dont j’ai malheureusement oublié le nom.

Ce Jacques-là, à peu près de mon âge, était un passionné de physique-chimie et nous fit découvrir quelques expériences que je déconseille vivement à tous les enfants qui me lisent.

Je me demande comment nous sommes encore vivants et même pas estropiés, après ce que ce diable de copain chimiste nous a fait expérimenter.

Il avait en particulier trouvé, je ne sais où, une recette de poudre noire que nous avons entrepris de réaliser avec les moyens du bord.

Je nous revois encore, réduisant en poudre des morceaux de charbon de bois et mélangeant, sans aucune précaution et prudence, la poudre obtenue avec les autres ingrédients achetés par lui et connus de lui seul, chez le droguiste le plus proche.

Par bonheur, ses compositions n’ont jamais permis de confectionner le moindre pétard, le mélange s’obstinant à refuser d’exploser.

 

Il avait aussi imaginé d’autres expériences utilisant des morceaux de carbure de calcium qu’il s’était procurés dans la cour de l’usine « d’Air Liquide » située non loin de chez nous.

Réduits en morceaux suffisamment petits pour passer à travers le goulot d’une bouteille de bière ou de limonade vide, notre Jacques remplissait alors d’eau le tiers de la bouteille et, après avoir refermé la canette, agitait vigoureusement et rapidement le tout pour l’envoyer, telle une grenade, dans l’étang voisin, de l’autre côté de la voie ferrée.

Le mélange carbure et eau produisant un dégagement violent de gaz acétylène, la bouteille finissait par exploser pour notre plus grande joie.

Inutile de dire que s’il y avait eu des poissons dans cet étang, pareil traitement les aurait fait disparaitre. Je ne me souviens pas en avoir vu le ventre en l’air, mais ma mémoire fait peut-être défaut.

 

Un autre personnage extraordinaire s’était également joint à nous.

Par un vilain hasard et quelques années avant que l’épouvantable affaire de la Thalidomide ne fasse la une des journaux, ce garçon, dont j’ai oublié le nom, avait eu la malchance de naitre sans avant-bras.

Sous nos yeux curieux et effarés, au niveau du coude, ses deux bras se terminaient en deux petites excroissances en forme de V et ressemblant à des doigts atrophiés.

Curieusement, ce handicap ne semblait pas du tout ou en tous cas très peu le gêner.

En joignant l’extrémité de ses deux bras, il parvenait à saisir à peu près n’importe quoi et réussissait à écrire aussi bien que nous.

Son père lui avait fait aménager une bicyclette, le guidon muni à ses deux extrémités de petites fourches, s’adaptait parfaitement à ses deux moignons.

Le freinage s’obtenait par rétropédalage, et à notre grande surprise il était capable de réaliser à vélo les mêmes prouesses que nous, et même souvent mieux que nous.

C’était un footballeur remarquable, réussissant avec ses jeux de jambes à maitriser un ballon qu’il était pratiquement, sinon impossible, du moins très difficilement possible de lui reprendre.

Le premier effet de surprise passé, nous avons rapidement totalement oublié son handicap et il est devenu très vite un inséparable compagnon de jeux.

Oublier son nom est un de mes grands regrets.

 

J’ai parlé jusqu’ici de ma bande d’amis, mais il faut que j’évoque aussi nos adversaires irréductibles, ennemis acharnés que, à la façon de Louis Pergaud et sa célèbre guerre des boutons, nous affrontions périodiquement.

 

Cette bande d’enfants comme nous venait de l’autre extrémité de la cité et s’était formée, comme la nôtre, grâce aux affinités que crée le voisinage.

Aucun nom ne vient se superposer à tous ces visages, très flous dans ma tête, l’un d’eux par contre, leur chef, me laisse un souvenir cuisant et impérissable.

Plus âgé que nous d’au moins deux ou trois ans, il nous impressionnait beaucoup. Je ne sais si c’est son véritable nom mais nous l’appelions « le grand Michevant ».

 

Nos rencontres périodiques se déroulaient à coup de flèches et d’arcs en bois. Pratiquement sans danger véritable, nos arcs peu puissants et nos traits sommaires et très légers ne pouvant, dans le pire des cas, que provoquer quelques égratignures.

Le seul risque était pour les yeux mais, autant qu’il m’en souvienne, rien de fâcheux n’est jamais arrivé.

 

Le véritable but de cette guéguerre consistait à essayer d’isoler un belligérant adverse pour le capturer avant de le renvoyer dans son camp, généralement en larmes, après lui avoir fait subir quelques brimades, confiscation de billes ou de petits objets personnels.

 

J’ai été moi-même kidnappé par la bande adverse et si je garde un souvenir cuisant du « grand Michevant », c’est qu’il m’a fait subir une punition très désagréable.

Tous les enfants en plein été étaient en short et chemisettes à manches courtes et je n’échappais pas à la règle.

Avisant un talus couvert d’orties, mon bourreau n’hésita pas un instant et me fit jeter dans ce champ d’orties d’où je sortis, comme on peut l’imaginer, hurlant et pleurant, couvert de milliers de piqures que maman, horrifiée, s’empressa de soigner à l’aide de vinaigre aux vertus apaisantes.

J’ai, bien sûr, subi de surcroit les foudres paternelles assorties d’interdictions de sorties pour au moins une semaine.

De toute façon, je n’aurais pas osé me montrer, rouge et enflé comme j’étais et sentant la vinaigrette à dix mètres.

 

Cela n’a pas arrêté nos affrontements ultérieurs. Comment empêcher les enfants de jouer à la guerre, alors que le pays se remettait tout juste d’un conflit majeur, encore si vif dans la mémoire collective.

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