Épisode 28
- JF
- 19 oct.
- 3 min de lecture

Comme je l’ai dit, la rue donnant accès à la maison bordait une assez vaste place triangulaire, couverte de gazon et qui la plupart du temps nous servait de terrain de football.
Environ une fois par an, une troupe de comédiens ambulants montait un chapiteau abritant une bonne centaine de places assises face à une scène de théâtre et ses coulisses.
La logistique de cet évènement était déjà en soi passionnante.
Le jour tout juste levé, une demi-douzaine de camions et diverses caravanes envahissaient le terrain, se disposant en demi-cercle au centre duquel commençait l’édification du chapiteau.
Toute une série de perches et de poteaux judicieusement disposés sur le sol, la toile étalée par-dessus, un groupe de quatre ou cinq hommes entreprenaient de planter en terre, en cercle et à intervalles réguliers, de solides piquets de fer.
La manœuvre était remarquable, les hommes, munis de masse et disposés en cercle autour du piquet à planter, entamaient une sorte de chorégraphie, chacun alternativement, frappant violemment avec sa masse sur la tête du piquet après un large moulinet.
Malgré mon observation attentive, je n’ai jamais vu l’un d’entre eux manquer son objectif. C’était fascinant.
Il ne fallait qu’une minute ou deux pour que le piquet profondément enfoncé, le groupe passe au suivant.
Une fois cette opération terminée, des câbles reliant les piquets à la toile, les hommes se glissaient sous cette bâche et, progressivement, dressaient perches et poteaux pour donner au chapiteau sa forme définitive.
Des rideaux de toile suspendus sur toute la périphérie de l’ouvrage, gradins et scène mis en place, le théâtre était prêt à accueillir spectateurs et comédiens.
Le tout était achevé en fin de matinée, l’après-midi étant consacré aux réglages divers, son et éclairage, pendant que les comédiens répétaient à l’abri des regards.
Bien entendu, nous n’observions tout cela que de loin, et tous les bruits que nous entendions attisaient notre impatience et notre curiosité.
C’est tout juste si nous avions accepté de déjeuner et le dîner prestement expédié, parents et enfants en âge de voir ce genre de spectacle, se pressaient devant la billetterie pour la séance de vingt et une heures.
Je crois n’avoir assisté qu’une seule fois à une représentation, mais cette unique fois m’a laissé un souvenir impérissable.
La pièce jouée ce soir-là était « Les Deux Orphelines » d’Adolphe Ennery et Eugène Cormon.
En peu de mots et après quelques recherches que je viens de faire sur le net pour me rafraichir la mémoire, deux orphelines, Henriette et Louise, cette dernière étant aveugle, se rendent à Paris dans l’espoir de trouver un médecin pour guérir Louise.
Bien entendu, rien ne se passe comme prévu, Henriette est enlevée par un vilain marquis qui en fait son jouet.
Louise, restée seule, tombe dans les mains d’une mégère alcoolique qui la tourmente, l’humilie et la force à mendier.
Tout s’arrange à la fin, du moins je le crois, avec l’intervention providentielle d’une certaine comtesse de Linière.
Bref, un mélodrame qui ne pouvait que frapper la sensibilité de l’adolescent que j’étais.
Je crois n’avoir jamais autant pleuré devant les malheurs épouvantables de ces deux pauvres filles.
Les comédiens n’étaient probablement pas dignes d’entrer à la Comédie Française, mais dans cette première découverte du monde du théâtre, j’étais profondément ému avec l’envie irrésistible de devenir plus tard acteur moi-même et transmettre à d’autres les mêmes émotions que celles que je venais de vivre durant cette soirée.
Le lendemain, tout avait disparu, l’herbe foulée, à l’emplacement des installations que nous avions vu édifier la veille, retrouverait en quelques jours son aspect initial, comme si rien ne s’était produit.
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