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Épisode 26

  • JF
  • 7 sept.
  • 6 min de lecture
Le collectionneur
Le collectionneur

Je suis et j’ai toujours été un grand collectionneur.

 

Tout petit déjà je ramassais n’importe quoi que je trouvais digne de rejoindre les caches secrètes, en tous cas je le pensais, que j’aménageais dans ma chambre ou ailleurs, dans l’appartement.

 

J’avais une passion pour les galets et autres petites pierres rondes, polies et si possible de couleur ou ornées de motifs incrustés.

Les bords du Lot recelaient une inépuisable réserve et j’en avais amassé un nombre non négligeable.

J’ignore totalement ce que ce trésor est devenu, par contre, devenu adulte, cette manie m’est restée à la différence près qu’à présent je les orne en les peignant de tous les motifs que me dicte mon inspiration.

 

Plus tard, sous l’impulsion des publicistes de l’époque, diverses campagnes utilisant des vignettes ou images associés à des produits de consommation courante ont retenu plus tard mon attention.

 

Ainsi, le journal de Tintin auquel j’étais abonné avait créé ce qu’il appelait « les chèques Tintin » dont chaque semaine un exemplaire pouvait être découpé sur la page dite de quatrième de couverture.

L’astuce publicitaire consistait à associer à cette opération une grande quantité de produits qui avaient accepté de coopérer, chacun d’entre eux ayant imprimé sur leurs emballages la fameuse vignette.

Une valeur en points était mentionnée sur chacun des chèques, valeur d’autant plus élevée que le cout du produit acheté le méritait.

L’addition de ces points permettait, via le journal lui-même, d’obtenir une foule de cadeaux, tous plus attrayants les uns que les autres pour les enfants intéressés.

Je laisse chacun imaginer l’implication attentive et systématique des fils et filles accompagnant père ou mère durant la cérémonie des « courses », paquets de farine, riz, pâtes et j’en passe étant soigneusement sélectionnés en fonction de leur participation à la campagne.

 

Le chocolat de marque Poulain ou Cémoi, je ne me souviens plus, avait imaginé une autre façon de satisfaire nos besoins enfantins de collectionner.

Chaque tablette contenait, entre l’emballage extérieur et l’emballage de papier aluminium, une ou plusieurs jolies images représentant des paysages, des monuments, des animaux et insectes divers.

La marque avait conjointement mis en vente, à un prix attractif, l’imposant album permettant à chaque enfant de coller sur les cases pré imprimées, les images qu’il avait récupérées.

 

C’était intelligent et instructif et mon attrait ultérieur pour les timbres n’est certainement pas étranger à cette première collection.

Je n’ai jamais autant aimé le chocolat.

 

Bien sûr, la découverte des images dans chaque tablette était souvent accompagnée de déception, une des vignettes étant déjà dans l’album.

Il s’ensuivait une bourse d’échange très active, image contre image pour compléter les cases vides.

Je me souviens également que, la fin de la campagne de pub approchant, certains commerçants intelligents savaient récompenser les paniers d’achats bien garnis par quelques vignettes qu’ils nous laissaient choisir dans un stock qui leur avait été remis par le distributeur.

Je ne crois pas avoir réussi à compléter totalement cet album que j’ai, comme tant d’autres choses, irrémédiablement perdu.

 

Tonton, mon parrain était, lui aussi, un grand collectionneur. Sa passion à lui c’était les timbres et il a, très tôt, entrepris de me la faire partager.

Il était abonné aux services postaux et chaque année, il commandait les timbres neufs de France, par planches entières.

 

Dès l’âge de mes douze ou treize ans, à chaque Noël, je trouvais sous le sapin une enveloppe contenant un exemplaire de tous les timbres français de l’année. Je possède donc encore une collection très complète depuis le début des années 1950, les albums étant soigneusement rangés, à l’heure où j’écris, sur les rayons de ma bibliothèque.

 

D’autre part, quel que soit l’endroit où il se rendait, il expédiait sous enveloppe des cartes postales, chaque enveloppe étant littéralement couverte de tous les timbres qu’il avait pu trouver localement.

A ce sujet, beaucoup plus tard, il me revient en mémoire une anecdote qui a failli très mal tourner.

Il était particulièrement agacé par les agissements de quelques personnages indélicats qui, soit décollaient les timbres de ses envois, soit subtilisaient tout simplement ces lettres abondamment timbrées.

Pour lui, les auteurs de ces détournements ne pouvaient être qu’un des facteurs et il eut, un jour, la mauvaise idée d’annoter la lettre qui m’était destinée de la mention en gros caractères et à l’encre rouge : « prière au préposé de ne pas décoller les timbres ».

Le fonctionnaire de service a bien évidemment très mal pris la chose et a remis au directeur de la poste le pli accusateur en menaçant de porter plainte en diffamation.

J’ai reçu le jour même une convocation dans le bureau de ce directeur et, en présence du facteur courroucé, j’ai dû présenter les excuses appropriées, mettant sur le compte de l’âge avancé et du caractère particulièrement acariâtre de l’expéditeur ces propos insultants et déplacés.

 

Autant dire que j’ai eu le soir même un entretien téléphonique d’autant plus vif avec ce cher Tonton qui trouvait, contrairement à moi, l’aventure très drôle.

Il me rapportait également, pour chaque occasion de fête ou d’anniversaire, des enveloppes de cellophane pleines de timbres oblitérés en vrac, que je passais des heures à trier et accumuler dans des albums.

Il m’avait, pour ce faire, offert l’indispensable matériel nécessaire à la pratique de la philatélie, albums, catalogues, pinces, loupe et tout un tas de charnières et autres pochettes transparentes pour coller et classer les timbres.

 

J’ai appris et découvert le monde à travers ces petites vignettes et j’ai toujours un plaisir infini à feuilleter et retrouver dans chaque album mes émotions adolescentes.

J’espère pouvoir transmettre cette passion merveilleuse à au moins un de mes petits-enfants.

 

Tonton, toujours lui, était professeur de biologie animale, successivement dans les facultés de Nancy, Hombourg près de Sarrebruck en Sarre, et Dijon pour finir.

J’adorais quand il acceptait de m’emmener, dès l’âge de dix ou onze ans, dans un de ses laboratoires, où flottait l’odeur fauve des cages de souris blanches, théâtres des séances de travaux pratiques destinées à ses élèves étudiants.

Lui-même a consacré sa vie à l’étude des « crustacés cavernicoles », petites crevettes aveugles aux noms barbares et charmants de « caecosphaeroma », « Niphargus » et « Asellidae ».

Son bureau était encombré d’inclusions de ces petites bêtes dans de la résine transparente, et qui lui servaient de presse-papiers.

 

Il partageait ses recherches et découvertes avec Jean Rostand, académicien français, écrivain, biologiste et historien des sciences. J’ai retrouvé, une fois Tonton parti chez les anges, dans les papiers qu’il m’a légués, quelques échanges épistolaires entre ces deux savants.

 

Il m’a fait découvrir et aimer les insectes et surtout ces merveilles de la nature que sont les papillons.

J’ai chassé dans les champs et durant des heures, ces insectes au vol capricieux avec de grands filets fabriqués dans de vieux rideaux en tulle donnés par maman.

 

Ce fut pour moi l’occasion de sillonner les champs provençaux, baignés de soleil et d’odeurs inoubliables, accompagné par le chant des cigales pour traquer, entre autres, le « citron », jaune vif comme son nom l’indique, la « petite tortue » aux ailes orange, jaune et noire, le « paon du jour » et ses ocelles bleues sur des ailes rouge sang, le petit et charmant « lycène bleu » aux ailes d’azur et parfois avec une émotion fébrile le superbe « machaon » à la voilure jaune pâle marquée de dessins noirs.

 

A mon grand regret, je devais les euthanasier, avant de les épingler et les étaler pour qu’ils sèchent durant plusieurs semaines, sur des étaloirs en balsa dont il m’avait donné le secret de fabrication ainsi que la méthode de présentation pour les mettre parfaitement en valeur.

 

J’avais, sur ses conseils et avec l’aide de papa, commandé à Paris chez Boubée, célèbre magasin spécialisé dans les fournitures pour entomologistes, tout le matériel nécessaire, boites de présentation, épingles fines, bocaux comportant sur le fond une épaisseur de plâtre et de cyanure pour euthanasier les insectes et enfin des étiquettes d’identification normalisées.

Tonton m’avait de surcroit offert quelques ouvrages illustrés me permettant de reconnaitre et classer les spécimens que j’avais capturés.

C’est donc parfaitement équipé que j’ai entrepris de meubler des boites à insectes dont le fond en liège contrecollé de papier blanc permettait de piquer l’épingle sur laquelle était embroché le thorax du papillon, et dont le couvercle était essentiellement composé d’un vitrage permettant d’en admirer le contenu.

Ces quelques boites, complétées par tout ce que j’avais pu récolter durant mes séjours provençaux, m’ont longtemps accompagné, posées sur les étagères de ma bibliothèque ou rangées dans des tiroirs.

Malheureusement le temps et quelques minuscules parasites ont fait leur œuvre destructrice et j’ai abandonné ce qui restait de ma pauvre collection lors de mon dernier déménagement.

 

Il faut dire aussi que ce type de passe-temps n’est plus souhaitable car, pesticides et pollution aidant, les papillons ont déserté nos prairies et sont à présent à ranger à la rubrique des espèces à protéger.

 

Je conseille donc à nos enfants attirés par la découverte de ces quelques lépidoptères subsistants de les photographier, les moyens mis à présent à notre disposition grâce, entre autres, aux techniques numériques, permettant mille fois mieux que dans des boites de conserver et admirer l’image de ces beautés chatoyantes.

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